J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

Ecriture Perce-Neige

ça revient sans douleur

 

 

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Fenêtre familière mais non de ville...

 

 

Les silhouettes ramassent la pensée

la rue en regorge

elles ont une allure d'été

alentie et pesante

 

Les enfants crient

en voyant les jets d'eau

aucun oiseau n'est là

pour contempler leur vie

 

Tu me crois  alanguie

je suis dans les tilleuls

arrimée aux promesses

d'un parfum envoûtant

 

[...]

 

 


Pas de demi mesure

 

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Lettre à une  femme  éprise d'un chantier

 

 

Au mitan peut-être de la vie                           toutes les bornes dépassées

nos panneaux se lisent à l'envers                    à l'encontre des ordres noirs

j'ai renforcé tes accotements                         par des murs ajourés

ils respirent ensemble                                   sans forcer leurs courages

 

Tu étais  partie de trop loin  et moi  j'en revenais  sans le moindre outil pour toi

et sans pouvoir réduire et ni même déduire au débotté la profondeur des anciennes fractures

 

Le terrassement te prendrait à plein temps car tu soulèverais la terre avec des cris

tu voudrais  retrouver et drainer toute l'eau qui  t'a jadis ensevelie

depuis la boue t'habille comme une glue désabusée

mais qui tient au cerveau malgré le temps outrepassé.

 

Quand je pense à toi  je me mets à ta place 

mais sans jamais confondre tes lois avec mes miasmes.

Et quand je redessine  les contours de ta voix

j'entends une eau de forge sauvage et ravinante

 

Je vois pourtant  déjà  le toit  le jardin les lucarnes

qui viendront relayer  ton corps arraisonné

eux qui auront à coeur de protéger ton être

contre les coups du vent de l'orage de tête

 

J'attends une éclaircie : le permis de construire

un abri fabuleux fait d'alvéoles saines

agrémentées de rires et de paroles neuves

où le miel du langage sera bien élevé.

 

La ruche comme asile de nuit

Le jardin comme asile de jour

 

Pas de demi mesure, vois tu,

pour nos relogements !

 

 

18 août 2012

 

 

 

 

 


Ces deuils comme des seuils...

PARCE QU A CHAQUE POIS UNE FILLE TOMBE

 

 

Ailleurs, les mêmes pensées clignotent

Le pas à pas du démantèlement des mémoires

Le souffle pris en flagrant délit d'ostentation

qui s'amuse à rebrouiller les pistes

Il mélange des vies à l'humus des paroles

Il brasse les silences comme une pâte molle

Elle  lève odorante pour un pain  espéré

 

Mes morts ne mangent pas

Mes vivants s'éternisent

devant la table vide

Ils  jurent à foison

  un peu pour faire du son

se plaindre ou réclamer 

l'attention d'une hôtesse

qu'il importe d'aimer

Et qu'importe le sexe

et le type d'oreilles

Ventre affamé dévore

à tous les rateliers

s'endort dans un soupir

se réveille en dépit

s'exclame et prolifère

dans des cris incongrus

 

Ailleurs, d'autres pensées clignotent

mais elles sont échangeables

Le calme est revenu

Le beau temps se remplume

Un oeil facultatif vous refait l'inventaire

 

 

 

 


L'écriture en été

 

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Rien, ici, depuis Janvier.

Ne pas s'en étonner.

Ou s'en étonner quand même.

Les mots ont un coeur libre

et des raisons changeantes.

Les mots des autres grouillent.

Tumulus perpétuels.

Des formes séductrices ou réductrices.

Le temps d'en revenir se perd. 

L'image serait un raccourci.

Mais elle active le mirage, la folie du labyrinthe.

Il faudrait dégager la voix audible

pour appeler sans crainte le vif du sujet.

 

S'y atteler ou sectionner les brides.

 


Ces enfants qui disaient avoir peur de rouiller au bas des grands immeubles...

 

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Toutes sortes de notes inscrites à la hâte dans des carnets à spirales. Pages arrachées quand trop illisibles, recopiées ou carrément réécrites par dessus l'encre,en formant plus lentement les lettres. Sorte de palimpseste remis au goût du lire. Ecriture gauchère depuis l'enfance. La main qui se contorsionne pour voir la trace qu'elle laisse en dessous...Toujours la honte du résultat qui n'est jamais ce qu'on voudrait. Brouillons, papier froissé,on recommence, on abandonne, la vie n'est pas là. Mais on insiste, l'achat de carnets comme un rituel, pour soi et pour ceux qu'on aime. Plaisir du papier, des textures, des encres et de la liberté de mouvement sur la petite page accrochée à son arbre,sa fine spirale de métal. Les petits carreaux pour géométriser l'alphabet, dessiner des damiers, des espaces expansifs. Des lignes pour tracer des sillons réguliers, empêcher la charrue mentale de labourer de traviole et tenter d'imiter le travail de la terre. Des pages blanches pour prendre le large, oser le dessin spontané, la recherche de l'unique empreinte de passage, marquant l'instant présent. Et cette incommensurable joie de savoir ajuster une phrase ancienne, elle qui ne demandait même pas l'asile : ces enfants qui disaient avoir peur de rouiller au bas des grands immeubles... Et que je retrouve au lever à bord d'un carnet marron. Le début d'une histoire qui me parle en sourdine. Un chantier d'écriture qui est ouvert depuis longtemps.


Bribes du Presque...

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Alignement volontaire des voix dans les livres et les jours. Chaleureuse habitude du mélange . Il a fallu un peu plus de temps que prévu pour comprendre la silencieuse désarticulation des pages. Presque née  ou presque arrivée à terme d’existence, la joie déraille. Elle est bruyante, sans prévenance pour l’image qu’elle offre à voir. Presque brisée, presque contraire à la bienséance, la joie de dire ce qu’il en est ressemble à la limaille coupante des rêves. La déplacer sans gants est risqué. Tendre l’oreille seulement. Lui écoute radio – nostalgie, il est celui qui nous dit qu’il aspire au repos. De toute urgence le croire. Il parle d’un monde ancien qui l’a violenté. En arriver là, il ne savait pas qu’il en arriverait là… Maintenant, il sourit, grand piano désaccordé. Sa musique est géométrique. A la dérive elle est plus calme. Elle griffonne un sursis. Presque arrimé, il remercie.


Lisières intérieures

 

  Photo1029                                                                                                                                 Mur Bulgare Mai 2010 Mth Peyrin

 

 

 

A la recherche de…

 

La membrane séparatrice

La fibre connective

Le réseau solidaire

Le luminaire événementiel

Les pulsations sans  voix  

Présences simultanées

Précipités d’étincelles

Crépitements magnétiques

Phosphorescences  

venues d’ailleurs

sans préméditation

vêtues comme des mirages

hydrosolubles dans le ciel

 

 

Bien que  parfois le bleu

ne soit pas uniquement

le désépaississement du noir

 

 

Tout sauf ça :

Tout ce qui vient d’être écrit .

 

 

L’extinction par les murs de brique

Lumière sacrificielle des croyances

Septicisme     et            Fin d’œil.

 

 

 

*

 


La mémoire débonde ses eaux perdues...

 

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Il y a tellement de temps que je vis avec mes morts... mes mortes plutôt... c'est doux maintenant... Chez nous, ce sont les femmes qui partent en éclaireuses et les hommes se consolent ou non, dans d'autres bras, d'autres jupes...les enfants se dispersent de façon parfois radicale. C'est le sauve qui peut dans l'archivage presque impeccable. Si on n'évoque pas le sujet, c'est pour laisser toute la place aux vivants qui s'y accrochent avec des mines de déçus. La vie ne garde pas ses femmes en bon état ici, elle les use prématurément, à cause des grossesses, des maladies insidieuses négligées pour cause de marmaille et de pas le temps de s'apitoyer sur ses organes... Elles aimaient les enfants , le petit jean , dédé aux yeux chinois, dédé le grand un peu jaloux, le petit robert et ses gencives constellées d'incisives douloureuses. Elles aimaient les fleurs, le piano et la peinture pour dames, elles aimaient leur mari qui faisaient les bravaches dans leurs costumes militaires, sous leur calvitie progressive et leur bedaine inquiétante, elles aimaient s'habiller de long en cachant leurs rondeurs résiduelles et mettre en conclusion dérisoires, leurs plus belles dentelles au dessus des corsages. Elles ne quittaient pourtant guère  leur tablier, sauf le dimanche ou pour aller à la messe. Elles eurent des filles : l'une morte, l'autre pas. Elles ne se sont pas connues celles-ci , ni les mères, ni les filles. Les familles gardent leurs mortes et leurs bébés perdus dans la maison du silence, il ne faut pas les réveiller."Le silence un peu rance du tombeau" est le même dans le souvenir, lorsqu'il n'existe même plus de sépulture, chaque roche un peu glacée parle de l'immobilité têtue des ancêtres disparus. Les mortes sans tombeau sont-elles plus à plaindre que celles qui en ont ? Je ne sais pas. La mort des hommes me chagrine moins, leur vieillesse est plus bouleversante à mes yeux. Lorsqu'ils perdent pied, ils sont comme de petits enfants au nombril barbouillé de jus d'abandon. Leurs regards se perdent au milieu des tombes, ils ne les voient pas telles qu'elles sont. Alors ils font écrire deux dates dessus pour dire qu'ils ont existé. La première est pour eux la plus importante. Mais je ne suis pas certaine de ce que j'écris. Je ne sais pas qui écrit lorsque je rejoins  le beau texte qui me touche au coeur. Angèle Paoli parle du père, comme moi de la mère.  Non pas la mère particulière, mais la mère générique, celle qui donne et perd la vie. C'est complémentaire. L'écriture ici est la caresse sur le front de ceux et celles qui sont parti(e)s ou vont partir. Je touche le mien, pour l'instant il est encore chaud . J'ai bientôt l'âge de l'une des siennes... Le vent dehors ne le sait pas. Il tourbillonne bruyamment. Et ici, je suis calme. Pour l’instant…


Un vertige-vestige avertisseur

 

 

C’est un vertige ou un vestige lié au sentiment de distance. C’est la difficulté encombrante de mettre des mots précis sur ces pensées douloureuses. Oui, nous manquons de temps et de force pour maintenir ensemble les deux pontons en dérive de tous nos regards séparés par le fleuve des souvenirs, souvenirs au présent inclus... Il faudrait mieux prendre soin des points de soudure transitoires qui peuvent toujours lâcher d’un coup, au moment inattendu. Il y a plusieurs manières de porter atteinte à cette douceur sécurisante de la « compréhension »… qui a proliféré, comme un tapis de mousse forestière abrité par l’ombre humide d’un sous-bois parfumé. C’est lorsque la lumière est trop crue qu’elle assèche les paroles, les transforme en brindilles trop nombreuses, cassantes et vulnérables aux intempéries. C’est lorsque il y a trop de passage au- dessus d’elles, sur la ligne d'erre des sentiers trop peuplés de marcheurs dont la plupart s’ignorent , se bousculent presque. Bien sûr, il y a l’attrait de la variété, de la nouveauté, mais comment préserver l’acuité des rencontres vivantes, s’il  n’y a pas assez d’intimité pour une écoute réciproque et un peu prolongée ?

Le silence est un écrin, c’est aussi un sépulcre, un espace de recueillement. Nous avons besoin des deux ! Les mots nous abandonnent dès qu’ils prennent trop de consistance car ils nécessitent une vigilance, une présence à l’autre qui est toujours difficile à maintenir malgré les bonnes intentions, les attentions soit -disant privilégiées. Nous ratons si souvent le mouvement de réception, comme dans un jeu de ballon où le tir ignore ce qu’il induit d’effort conscient chez l’autre. Pour bien faire, et même si c’est insuffisant,  il faudrait en revenir à ce ralenti qu’on voit dans certains films. Une vision séquentielle des moments d’échange où un retour en arrière est possible pour mieux comprendre ce qui s’est passé.  Après seulement, on a quelques indices un peu fiables pour reconstruire une histoire, un récit « parlant »… Mais tout cela est extrêmement fatigant, on s’y anesthésie au bout d’un certain temps…Je pensais hier à cette question distinctement émergée de mes ruminations silencieuses et que chacun peut se poser un jour ou l’autre : « A qui appartient mon histoire ? ». En corollaire existe le problème de savoir qui est habilité à en faire le récit. Je suis frappée par le fait qu’il est rare que cette interrogation  précède  explicitement toute prise de parole orale ou écrite dans ce registre. Le  pillage et le gaspillage sont les dégâts collatéraux permanents de cette entreprise de décryptage  qui n’émeut pas tant de monde  au regard du surnombre de gens concerné et surtout pas ceux qui en font commerce. Les plus vénaux recherchent les récits qui croustillent, qui émoustillent, qui font pleurer Margot, qui peuvent apporter de l’eau à leur moulin narcissique ou électoral.  C’est parfois absolument n’importe quoi , et le cynisme de la saturation montre vite le bout de son nez de fouine nauséabond . Comment retrouver la pureté originelle du regard, sa marque d’étonnement et d’amour neuf pour la découverte ? « L’amour des commencements » écrivait Pontalis et aussi le goût d’un « Temps qui ne passe pas » où le sous-bassement inconscient de tout mouvement personnel devient enfin visible, comme le mécanisme d’une montre  sous une monture transparente. Dans le livre de Claude Maritan assez technique et théoriquement audacieux,  intitulé « Abîmes de l’humain / Essais de psychanalyse  A propos de la sensation de n’être rien, et qui s’appuie  notamment sur une tragédie d’ Euripide , les Bacchantes,  il  y est question de cette « angoisse de n’être rien » laquelle procède d’une histoire qui argumente ouvertement la différence entre narcissisme masculin et narcissisme féminin. Mais il y a du deuil et de la violence des deux côtés. Le rapport au corps y est fondamentalement distinct ce qui donne des jalons pour aborder la façon d’utiliser le langage à des fins sexuées. Le dialogue entre les sexes est « jouable » selon  un mouvement qui permet à chacun de prendre conscience de ce qui a pu ou pourrait le sécuriser ou l’insécuriser dans l’énonciation.  Toute profération de parole ou de silence a une histoire. Rien n’oblige en effet de la livrer en pâture aux lecteurs inconnus. On peut déjouer le facteur pudeur ou l’alibi propriété privée en « anonymisant » le donneur mais le résultat pour lui est quasiment le même. Franchissement d’une limite plus ou moins bien assumée, il y a un avant et il y a un après qui changent, de fait,  la configuration de la mise en jeu intérieure . Du déjà vu côtoie du  » à quoi bon ? «  ou de toute façon les dés sont pipés, sans l’avoir voulu, c’est « invaincu » d’avance … Le sachant, on finit par se taire en gardant les yeux grand ouverts … Parmi les gens qui s’éprennent à écrire, les professionnels comme les participants d’ateliers d’écriture, on ne croise pas que des collectionneurs passionnés de mots , il n’est pas rare que se côtoient des personnes qui obéissent aveuglément à des pulsions de « vaincre l’invaincu » .Claude Maritan fait remarquer qu’ils se recrutent parmi « ceux qui sont […] porteurs de traces mnésiques de sensations corporelles brutes – réel non symbolisé- [et qui] se fixent si souvent le programme épuisant de vaincre leur propre inconscient par la force de leur caractère ! »…  Il s’agit souvent de « ceux qui sortent d’une enfance lourdement carentielle, tant en paroles qu’en affection et en tendresse « . Ils en viennent à rechercher avec avidité le « féminin-objet », totalement imaginaire, qui viendrait « obtruer le trou résultant de la perte brutale du milieu féminin du gynécée, et toute la profusion des sensations corporelles qui s’y rapportent. Le sujet est d’autant plus  attaché à cette création imaginaire qu’elle est l’unique vestige d’un  monde perdu / d’un soi perdu. L’échec  prévisible de ce programme (vaincre l’invaincu) conduit, aujourd’hui en analyse ceux qui osent encore espérer une solution humaine, une symbolisation, à leur problème ».

 

 


C’est à tout petits pas que ça se passe


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C’est à tout petits pas que ça se passe. Non pas des pas réels, mais d’infimes mouvements de tête qui obligent le contenu des yeux à changer de focale. C’est un cheminement sans tapage à travers le silence des lèvres. Les lèvres s’intimident  désormais, elles se tiennent à distance, elles savent le prix de la paix. Car il leur est arrivé qu’elles se fassent mordre au sang, elles ne réclament rien désormais, elles simulent l’abstention, elles  sont dépossédées de toute récrimination, elles respirent à battements de colombe.  On pourrait  peut-être  et bientôt, imaginer cela : imaginer des oiseaux blancs veloutés et légers qui sortent de nos bouches,  habiles rescapés de la vieille cage aux grillages oxydés.

Avril-Juin 2010


Tendresse & Tendresse (Hypothèse Temporaire)

 
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Cet être ne parvient pas à réduire la distance qu’il y a entre sa tendresse et la mienne. Aux prises avec ses grandes peurs, l'autre reste sous la bride et pourtant à l'affût. Entre nous il y a souffrance. C’est pour cette unique raison que je ne peux  accepter de lui en vouloir sur la longueur. Cela n’empêche pas l’agacement mais il est transitoire... Et la torture de l'incompréhensible a fait son lit brouillon dans nos têtes. Cet être  ne consent  pas à aimer sans se sentir immédiatement sous contrainte et tous mes efforts pour lui restituer sa liberté ne font qu’aggraver la fêlure , elle entrave souvent son mouvement, sa vie aussi. Cet être ne sait plus nager tranquillement vers mon seuil, et rejoindre cette crique apaisée où j’accueille la totalité de la proue du silence. Je ne peux pas mieux dire ce soir. Il est même étonnant que je parvienne à le formuler.

Les courbatures sentimentales, texte en cours (c)

 

 

 


La musique des générations

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Ferdinand Hodler(c)

La musique frémissante accompagne les variations d’humeur. Elle a l’ampleur et la vigueur, la délicatesse et la subtilité nécessaires pour transporter et envelopper  les  émotions. La palette s’est rétrécie et le passage du plus grave au plus léger se fait plus rapidement. On y lirait un manque d’espace et de temps lié à la focalisation sur l’urgence. Elle ne veut pas perdre de vue le mouvement infime qui la sauve chaque matin du désastre. Endurer la vie et ses agressions permanentes ne peut se faire sans sagesse. Elle n’est pas certaine d’en avoir assez mais elle prospecte. Elle en trouve quelques bribes dans les voix autour et dans le poème. Elles lui parviennent passivement, au milieu des excès sonores, ou alors elle les cherche, dans les livres encore vivants. Les livres capturent la sagesse et la déraison sans distinction, ils les traitent à égalité, les contraignent à l’humilité et à la relativité. Les livres ne comparent pas la vie aux livres, ils les cloisonnent pour répartir joies et peines, ils lui évitent la contradiction extérieure. L’appel devient moins impérieux. Il se repose un peu. L’arrière-grand-mère chez le coiffeur rencontre une amie et lui parle de naissance. Elle est partie prenante, n’a pas coupé le fil de l’émerveillement, dans un corps qui disparaît en résistant. Ici au moins, elle y croit. Pensées pathétiques et belles. Aujourd’hui, grâce aux progrès médicaux, quatre générations peuvent se connaître et se parler. Le grenier des mots est à ciel ouvert.

*



Cela se voit sans dire


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Cela se voit sans dire

 

Ce vieil homme

un Père

Et son regard boit la parole

fantôme indélébile

et la peine perfore

dans ce dur flottement

séquelle irrémédiable

d’un grabuge profond

 

 

Epreuve d’involution

Déréliction

jusqu’à la lie

Joues creuses

Teint gris

Corps qui desquame

Les yeux pris dans les miettes

Silence ténébreux

Forfaitaire tonneau

sec de larmes et de mots

Lassitude avant l’heure

Pitié et gestes clos

 

Moi taiseuse attiseuse

de soupir assommé

Plaisanterie pourtant

quand  l’aide se propose

Déboutonnage idiot

des manches de chemise

indocile à souhait

soudain propriétaire…

Et son regard colmate

la révolte en sourdine

Hémostatique inavoué

 

 

Après   Dormir

Endormir  La Douleur.

 

2/03/2010

 

 

 

 

 

 

 

 


Rétrospectives Alliances, Recueil Numérique

Il faut parfois se relire pour comprendre mieux ce qui s'est passé .

Cliquer  ICI

Ou encore à l'état débroussaillage :

Je demande  à la fois tout  et rien à l’art et à la littérature . Ce faisant je ne fais que brasser ensemble à gros bouillons : la pudeur et l’impudeur, la retenue et le débordement, l’unique et l’universel, l’homme et la femme, les majorités et les minorités, le souffle et la suspension du souffle, la joie et la douleur, la pauvreté et le luxe, le pour et le contre, la simplicité et la sophistication, l’envers et l’endroit, le montré et le caché, la séduction et le tout venant, l’offrande et le retrait, la légèreté et la profondeur, l’immobilisation et le mouvement perpétuel, la mémoire et l’oubli, la grandeur et l’infinitésimal, le merveilleux et l’effroi, la sécurité et le risque, le rituel et l’aventureux, les départs et les retours, les racines et les ailes, le désir et l’assoupissement du désir, le comique et le tragique, la caricature et la fidélité des traits, la puissance et la faiblesse, l’agilité et la maladresse, le génie et la candeur, l’adjectif et la chose en elle –même, le bavard et l’éclectique, le direct et l’indirect , l’humour et le sacré, la décence et  la veulerie, la lâcheté et le don suprême de soi, l’appartenance et l’indépendance, le goût des mots et la banalisation des mots , l’argument et le contre-argument , la captation et le rejet, la proximité et la distance, la douceur et l’incision, le relent et le détergent, l’avenir et le passé, le jour et la nuit, le temps et la mort du temps,  le visage et l’esprit, le corps et la maladie, la beauté et la laideur, la couleur et la transparence, l’enfance et la vieillesse,l’adolescence et le devenir,  les mots et le silence. Vivre ainsi, par touches kaléidoscopiques de conscience, c’est , jugez-en, somme toute, assez éreintant. Peut-être  dormons-nous, mangeons-nous, buvons-nous, promenons-nous  agitons-nous, faisons-nous  l’amour ou tout le reste dans la panoplie des comportements génériques avec la fantaisie qui nous reste à notre insu ou de plein gré , tout ça pour  mieux reléguer l’art et la littérature à leur principe de fiction. Ceci étant écrit. Rien de nouveau apparemment, même ce soir pour y changer quelque chose. Manger du riz dans une feuille de bananier fermée par des cure-dents ne me dispense pas de lire quelques dizaines de minutes avant d’aller dormir. L’ambivalence assommoir comme berceuse ?  Pourquoi pas ! C’est à prendre au meilleur degré pour quitter  une saturation qui s’avance musclée.  

J'écris aux Amoureux ...

Aujourd’hui se multiplient ceux qui croient qu’on se débarrasse des pensées comme on enlève les épaisseurs de vêtements sur le corps, en fonction des saisons. Voilà peut-être pourquoi l’habillement et ses innombrables variantes et modes ont autant d’importance dans nos rues ou même nos institutions. Stratégies et surenchères de séduction au risque de la mutilation et de la dépersonnalisation... Ambivalences perpétuelles entre singularité ou conformisme affichés.  On se donne le change, on change de vie comme de chaussettes. On ne les répare plus comme autrefois en les glissant soigneusement, l’accroc en dessus bien visible, sur l’œuf de bois à repriser. Aujourd’hui les pensées ne sont pas réversibles comme les cols, elles doivent satisfaire, elles font partie des produits consommables. La vie est trop courte pour la rendre pénible en s’embarrassant de contraintes physiques ou affectives, mais changer très souvent de décor, « s’éclater » comme ils disent, n’est pas  la voie royale de la sérénité. Si c’était vrai, comme disent les anciens, ça se saurait. User l’amour jusqu’à la corde ? Non ! Plutôt desserrer un peu les nœuds au fur et à mesure, mais réfléchir un peu avant de les trancher, tomber dans un glacier est si vite arrivé. On tient la main aux enfants pour qu’ils traversent les passages dangereux. On ne tient pas assez la main aux adultes. On leur fait confiance. Peut-être à tort ? Toutes les histoires d’amour finissent mal hurle la Dame Mitsouko. Peut-être à tort ?



L'enfant renversé

 

Pour le remercier d’aller chercher le pain à la boulangerie d’en face, elle avait voulu lui offrir une glace. Sortie d’école, elle l’attend de l’autre côté du passage clouté séparé par un espace balisé, une sorte d’île  au milieu , coupant l’avenue pour la rendre moins inquiétante à traverser. Des centaines d’écoliers la sillonnent d’une rive à l’autre, accompagnés ou non, plusieurs fois par jour. On a  donc pensé aux ruées d’enfants et à la lenteur des personnes âgées. Il vient de sortir de la boulangerie, les mains pleines, un cornet à deux boules en main gauche, un gros pain sous le bras droit, il sourit.  Ni imprudent, ni pressé, il traverse en guettant le petit homme vert puis il s’immobilise sur le terre-plein central  pour contrôler, côté pain, l’arrivée des voitures. Il aperçoit sa mère et franchit le dernier gué à plein élan. Un grand crissement de pneus, des cris , une sorte d’affolement irréel. Elle le voit parterre ,essayant de "nager" en direction du trottoir, il pleure fort … Elle se précipite, ventre noué et cœur vibrant, craignant la folle arrivée d’un bolide. Elle n’a pas encore vu le scooter ni le garçon casqué qui se fait haranguer par les gens. Elle ne voit que son fils. C’est comme un longue coupure de noir entre deux diapositives. Puis brusquement, elle reconstitue la scène : l’enfant vient de se faire renverser par le jeune garçon et ils sont séparés par l’attroupement des passants. La mère a cru d'abord  à une jambe cassée, elle ne sait pas encore. L’enfant bouleversé, couché sur le côté, se tient le poignet, il s’affole de plus en plus, il parle au milieu de ses larmes… Il est vivant ! Elle le cajole sans le bouger de place, en ravalant ses propres pleurs , ce n’est pas le moment de craquer… On attend les pompiers… la police arrive en premier… L’enfant commente sa malchance : « ça a mal démarré du matin, déjà dans les escaliers je suis tombé, papa va me gronder, il dit toujours qu’il faut faire attention en traversant cette route… ça fait trop mal… je veux pas aller à l’hôpital… ». L’entendre rouspéter rassure , de tendres rires fusent tout autour , chacun y va de son petit couplet parental. Les pompiers sont fortiches, ils prennent l’enfant doucement, lui expliquent gentiment ce qui va se passer et à la mère aussi. Elle apprend qu’elle ne peut pas monter dans le camion rouge, elle doit rejoindre l’enfant plus tard. Elle refoule à nouveau sa désolation, maintenant panachée de colère. Elle va se coltiner le constat et les palabres qui n’en finissent pas. Elle veut d’abord  téléphoner au père. Elle s’imagine son affolement en différé et la vitesse avec laquelle il va rouler après être sorti précipitamment du travail . Elle a peur pour lui tout d’un coup, et lui demande anxieusement d’être prudent… Il promet… Fracture du poignet en motte de beurre… L’enfant s’en tire bien… Il a aujourd’hui 23 ans . Le jeune chauffard était un apprenti pâtissier, obligé de faire des trajets très longs pour aller et revenir sur son lieu de stage. Il était ce jour là très fatigué, pressé de rentrer , il a mal  vu le feu rouge et s’est fait vertement engueuler par son père en prime de sa grande culpabilité. La mère, ventre serré... a vu en lui son propre fils plus grand, a excusé l’erreur, somme toute…urbaine.  L’enfant a oublié. Sans rancune et  peut-être sevré des grosses glaces à deux boules…